Posts Tagged 'réseaux sociaux'

A Marguerite et aux autres

J’ai posté un statut facebook qui a déclenché une intéressante discussion. A cette occasion, j’ai réalisé qu’il y avait un besoin d’échanger sur cette question.

Cela commençait comme ça : j’essaye, mais je n’arrive pas à comprendre la folie de ce monde dans lequel nous sommes désormais plongé.es. Un monde dans lequel une jeune femme comme Marguerite Stern, ex-Femen qui a lancé ces fameux collages féministes, notamment contre les féminicides, craque face à des adversaires haineux, comme si elle était seule au monde.

Elle vient d’annoncer sur Twitter, faire un séjour en hôpital psychiatrique à cause du harcèlement qu’elle subit sur les réseaux sociaux (RS) depuis deux ans, pour ses positions féministes.

Lire cette information sur Twitter m’a peinée et inquiétée, mais m’a aussi donné l’impression qu’elle se pensait réellement seule au monde et n’imaginait pas que d’autres avaient déjà défendu les mêmes idées qu’elle et continuaient de le faire.

Ces jeunes femmes partent en guerre et s’exposent sur les RS jusqu’à l’épuisement, le craquage. Elles semblent croire qu’elles partent de zéro, doivent tout inventer et que personne ne s’est battu ni ne se bat encore, quasiment chaque jour, contre tout ce qui les révolte elles aussi, depuis que le féminisme et les luttes queer-LGBTQI ont dérapé.

Le mouvement queer, si cool en apparence est en réalité, souvent sectaire voire violent, avec des trans-activistes haineux qui vous traitent de TERF, des pro-prostitution qui vous diffament, insultent, menacent, et même de mort.

Pourquoi cette solitude alors que nous sommes un certain nombre à nous être battues, exposées pendant des années, dans nos vies quotidiennes, en vrai et pas virtuellement sur les RS où l’on peut choisir d’apparaître ou pas, de sélectionner son auditoire, de bloquer ses agresseurs … et nous continuons de le faire pour certaines d’entre nous.

Nous, ne faisons pas comme si nous étions seules au monde à porter ces luttes sur nos épaules, nous avons toujours su qu’il y avait d’autres femmes, partout dans le monde, qui pensaient, écrivaient, agissaient, se battaient comme nous, et que nous deviendrions de plus en plus nombreuses,  que nos voix finiraient par porter.

Les mutations et dérives du féminisme et du mouvement LGBT vers l’intersectionnalité, le relativisme culturel ne datent pas d’hier.

La place prépondérante prise par les questions trans posent problème depuis plus d’une bonne décennie. Nos luttes contre le système prostitueur avant le vote de la loi d’abolition prostitution furent difficiles, nous fûmes constamment confrontées à une immense violence de la part du STRASS et de groupes LGBT. Nous dénonçons en tant que féministes universalistes, le patriarcat religieux et son emprise sur les corps et vies des femmes depuis longtemps ; cela passait fort bien quand il s’agissait de l’église catholique, mais avec l’islam, cela nous vaut d’être ostracisées, diffamées, insultées, accusées de racisme.

Je viens d’écrire un livre témoignage et d’analyse sur l’évolution des mouvements féministe et LGBT durant ces trente dernières années.(1) J’ai du mal à les imaginer l’ouvrir ce livre, pourtant, elles comprendraient alors qu’elles ne sont ni les premières ni les seules à affronter les mêmes adversaires, qu’elles ne sont pas plus en danger que nous l’étions et le sommes encore. Au contraire, les prises de position universalistes recommencent à avoir et de plus en plus, d’écho.  

J’ai lu le long interview de Marguerite Stern dans l’Express, mis à part ses questionnements intimes, je n’ai quasiment rien vu que nous n’ayons déjà dit ni écrit et ce, un nombre incalculable de fois. Alors que se passe-t-il avec cette génération ? Trop de personnalisation, trop d’individualisme, trop d’exposition virtuelle ? Pas assez de luttes collectives ni d’appui sur des militantes aguerries ? Le nihilisme propre à la jeunesse ?

J’ai beau savoir la spirale infernale du harcèlement, la violence de certains échanges, et pour cause, j’ai pas mal payé pour le savoir, je n’arrive tout de même pas à m’expliquer ce rapport à l’engagement militant, à la lutte, ce rapport aux adversaires comme aux allié.es que l’on préfère ignorer, snober presque ; et encore moins ce rapport aux RS que l’on ne parvient pas du tout à maîtriser.

Ces jeunes femmes, radicales, engagées contre le mouvement queer/trans-activiste, la prostitution, les intégrismes religieux, le voile … , aussi contre les woke et cancel cultures sont aux antipodes des relativistes et intersectionnelles. Qu’elles existent est formidable, un formidable espoir. Mais elles ne sont pas les seules féministes universalistes, loin de là, et ce n’est pas parce qu’elles sont jeunes que ce qu’elles disent est plus intéressant non plus ; nous leur avons ouvert la voie, et continuons d’agir à leurs côtés, aussi, les voir se débattre et souvent sombrer, est-il particulièrement choquant.

Je trouve ça triste, aussi très inquiétant. Je ne sais pas si des chercheurs travaillent sur ces questions, mais il serait peut-être temps de s’y mettre avant que trop d’entre elles ne se brûlent les ailes ?

Dans tous les cas, je lui, leur, souhaite d’en sortir indemnes, de trouver la force et les ressources de vivre leur engagement en mieux se protégeant. Parce que ce n’est pas fini, loin de là. Il faut durer, avancer, en se sachant nombreuses, en regardant derrière soi, à côté de soi et derrière soi,  le chemin accompli par soi-même et par les autres.

A la suite de ce statut, s’est engagée une discussion dont je retiens quelques idées ;  des pistes de réflexion pour un débat.

Avoir l’impression de devoir repartir de zéro est peut-être le propre de la jeunesse, et la transmission des luttes passées n’est pas toujours suffisante, la solidarité inter-générationnelle non plus. Les « historiques « ont aussi leur part de responsabilité, en tous cas la plupart de celles qui doivent leur carrière au féminisme. A distance des militantes, elles ne réalisent même pas l’élitisme qui est le leur. Elles ne se reconnaissent guère d’héritières,  si ce n’est quelques stars médiatiques. Surtout pas de prise de risque. Pourtant, aucune féministe ne fait sens seule, et des féministes qui par exemple revendiquent la réglementation de la GPA ou qui aurait affiché une étiquette politique plutôt qu’une autre,  n’auraient pas fait consensus à leur époque. Le féminisme c’est d’abord l’histoire de confrontations et de consensus collectifs. En quelque sorte, elles ont pensé partir de zéro elles aussi, malgré toutes celles qui les avaient précédées et dans le monde entier, et s’imaginent maintenant être les dernières. Dans leur tour d’ivoire, n’ont-elles pas brisé une chaine de solidarité, et favorisé une récupération et un dévoiement d’autant plus facile qu’il n’y avait plus de barrage suffisamment puissant ? 

De leur côté, les jeunes générations semblent peu s’intéresser à l’Histoire, aux témoignages et enseignements des militantes plus âgées et toujours actives. Même lorsqu’on les interpelle, notamment sur les RS en suggérant qu’elles ne sont pas vraiment si précurseuses que ça, ou en leur conseillant de lire un livre, elles ne daignent pas répondre. Pourquoi ? Sentiments d’urgence et d’immédiateté mêlés au besoin de se croire individu auto-suffisant et unique ? Incapacité à entendre les autres, toutes à leurs souffrance et à la violence des attaques subies, notamment sur les RS ? En tous cas, la volonté d’échanger et d’apprendre des autres semble bien être absente.

Les formes de lutte ont changé, moins collectives, plus individualistes et solitaires. Les médias encouragent cet isolement en choisissant des égéries, un temps mises en avant. Le risque, particulièrement en matière de féminisme qui génère souvent des oppositions violentes, c’est que l’exposition et l’isolement deviennent trop lourds à supporter. Les médias trouveront vite d’autres candidates, la médiatisation est devenue une manière idéalisée d’exister socialement. Oublier que les luttes sont collectives et ne pas s’appuyer sur d’autres est dangereux, mais l’époque ne sait plus que flatter le narcissisme et la suffisance des individu.es qui font semblant d’ignorer tout ce qu’ils doivent aux autres et finissent par se convaincre qu’ils savent et peuvent tout à eux-seuls, qu’ils et elles sont les meilleurs.

Approfondissons un peu ce phénomène.

Il y a la fabrique des égéries par les médias, universitaires, politiques et divers groupes d’influence qui exhibent sans cesse deux ou trois personnalités censées représenter à elles seules, une idéologie, une lutte, une tendance, qu’en général elles ne connaissent que partiellement. Une universaliste au carré, un peu plus de mainstream qui ne savent plus trop où elles habitent, et enfin stars montées en épingle comme des meringues aussi creuses qu’écoeurantes, des relativistes au féminisme dévoyé mais adoubé par les universitaires et médias qui ont verrouillé nos systèmes de pensée. Médias, politiques et groupes d’influence fonctionnement ainsi par pure commodité, ça leur évite de se casser la tête à chercher d’autres personnes aussi représentatives, voire plus pertinentes. Ils brandissent jusqu’à plus soif la même personne, à laquelle est confié le pilotage de multiples projets, ou encore un siège à de multiples conseils d’administration. Résultat : cette personne ne peut qu’assurer une présence superficielle, pur affichage, l’efficacité on s’en fiche un peu ; puis après un essorage en règle, il ne lui reste plus qu’à se reconvertir, heureusement, le carnet d’adresses a eu le temps de s’étoffer car le pouvoir attire le pouvoir comme le miel, les mouches.

Il y a aussi des personnes qui se dépatouillent un peu plus seules, elles ont été repérées en participant à un mouvement et tentent de rester dans la lumière, en particulier via les RS, mais finissent par craquer, n’en pouvant plus de l’isolement, du harcèlement et des violences qu’elles subissent.

En conclusion, ce que devraient savoir les jeunes féministes qui vont à l’encontre des thèses dominantes du seul féminisme actuellement accepté de la plupart des médias, c’est que l’engagement féministe n’est jamais sans conséquences, aussi, faut-il mieux être bien préparée. S’afficher féministe universaliste et vouloir s’opposer à la tendance mainstream et pire encore, relativiste, n’est pas du tout vendeur, c’est au contraire, très ingrat, usant, parfois désespérant et l’on ne peut tenir sur la longueur que dans le cadre d’un engagement collectif, en s’appuyant sur de plus aguerries que soi et sur leurs travaux.

Dans tous les cas, le débat est désormais ouvert et nous devons pouvoir discuter de tout ceci avant que des jeunes féministes radicales ne le payent bien trop cher. Le féminisme est une lutte de très longue haleine et nous avons besoin d’elles comme de nous toutes.

Christine Le Doaré

(1) https://christineld75.wordpress.com/2021/10/04/parution-essai-fractures/


Entrez votre adresse mail pour suivre ce blog et être notifié par email des nouvelles publications.

Archives