Coup de tampon règlementariste !

A la lecture du texte d’Alban Ketelbuters : « Reconnaître la prostitution et non l’abolir », paru dans le Monde du 23-07-2012, je constate tout d’abord que de plus en plus d’hommes  se sentent autorisés à apposer ou non,  un tampon « féminisme convenable » sur nos revendications.

Nombreux sont ceux qui, comme l’auteur, vouent  désormais un culte à Simone de Beauvoir ou à Elisabeth Badinter et pour le reste, ils décident s’il est ou non acceptable que nous menacions leurs privilèges patriarcaux.

Alban Ketelbuters semble avoir des connaissances approximatives en matière de féminisme. Son analyse des différents féminismes en présence est assez confuse. Pour commencer, rappelons-lui que si des féministes essentialistes se manifestent encore de temps à autres, les principaux groupes et personnalités féministes qui s’expriment et agissent aujourd’hui, y compris chez les abolitionnistes, sont égalitaires et universalistes. Et c’est tant mieux car les théories naturalistes et différentialistes qui fondent la domination masculine ne peuvent être déconstruites par un féminisme qui se contenterait d’inverser les rôles et de substituer un matriarcat au patriarcat !

Des militantes féministes, des militantes lesbiennes aussi, revendiquent depuis fort longtemps, l’égalité des droits et notamment l’ouverture du mariage aux couples de même sexe, la PMA* pour les lesbiennes et l’adoption pour tous, mais pour autant, sont hostiles à la GPA** (Nombre de  militants LGBT également). Il ne faut pas tout mélanger, la GPA n’est pas une technique de reproduction, elle met en jeu la vie d’une femme pendant toute une grossesse. Qu’on le veuille ou non, il s’agit bien de l’appropriation et de la mise à disposition, par des hommes et à des fins reproductives,  de corps de femmes. La question mérite que l’on prenne le temps d’y réfléchir sereinement, surtout qu’il existe d’autres solutions de parentalité et que le droit à l’enfant ne justifie pas tout.

M. Ketelbuters continue sa démonstration jusqu’à mettre sur le même plan, supériorité de l’hétéro-parentalité et abolitionnisme de la prostitution ! Que fait-il donc des militants LGBT qui se battent pour la reconnaissance et les droits des familles homosexuelles et pour autant sont abolitionnistes ? Sous le tapis ?

« L’obsession chimérique d’une juste sexualité, plus naturelle que culturelle… »  Mais que peut bien signifier cette phrase ? La sexualité  n’a rien de bien « naturel », elle résulte dans tous les cas, d’une culture, d’une éducation et d’expériences individuelles. En outre, j’ai beau lire des textes abolitionnistes, je n’y vois aucun argument puritain, bien au contraire. Il n’est question que de désir et de liberté, d’émancipation et surtout de sortir le sexe de l’économie de marché. Il est question aussi de prévention, de lutte contre l’exploitation et les violences.

Le consentement et l’intimité ne se marchandent pas et ne peuvent être livrés aux lois du marché.  Qui fixerait le prix public, la valeur, d’un acte sexuel et en fonction de quels paramètres ?

Puis,  Alban Ketelbuters  qui ne recule décidément devant rien, fait référence à l’article 4. de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Certes, tout être humain a en effet le droit de disposer de son corps, mais du sien seulement, personne n’a le droit de disposer de celui d’autrui !

Certaines personnes seraient disposées à vendre ou louer leurs organes si on les laissait faire, pourtant, quelle que soit leur situation économique, la force de leur volonté, l’Etat les en empêche pour les protéger. Il devrait en être de même pour la location ou la vente d’actes relevant de l’intimité sexuelle.

Non pas pour des raisons puritaines mais parce que vendre sa force de travail physique ou intellectuelle n’a strictement rien à voir avec vendre son intimité sexuelle et aucun-e prostitué-e n’a jamais rêvé enfant de le devenir et encore moins fait ce rêve pour ses propres enfants. Ce n’est à l’évidence pas un métier comme un autre, contrairement à ce que prétendent les réglementaristes. Qui voudrait trouver à Pôle emploi demain, de telles offres d’emploi ?

Que dire encore de cet argument qui consiste à juger les abolitionnistes « coupables de condamner à la misère et à la criminalité les personnes prostituées » ?

A l’évidence, Alban Ketelbuters n’a pas fait la différence entre abolitionnisme et prohibitionnisme. Si les abolitionnistes font un travail de lobbyng politique, ils réclament avant tout l’abolition de l’article 225-10 -1 du Code pénal sur le racolage passif, réglementation répressive exercée à l’encontre des personnes prostituées. Présents sur le terrain, ils font un travail de prévention considérable et aident les personnes prostituées qui le souhaitent à en sortir.

Notre universitaire n’a pas non plus  compris que les abolitionnistes ne s’en prennent pas aux prostituée-e-s qu’ils respectent, mais veulent questionner la demande : éduquer, voire pénaliser les clients afin de les mettre face à leurs responsabilités. Car c’est  bien avant tout d’égalité femmes-hommes et d’un projet de société dont il s’agit.

Comment, un petit garçon,  élevé en sachant qu’il aura toujours des femmes prostituées à disposition,  pourrait-t’ il jamais considérer une femme comme son égal ?

Je me demande aussi comment notre universitaire a réussi à éviter de lire les rapports publiés par les Etats qui avouent être dépassés par les problèmes générés par une politique réglementariste ? Les trafics se sont développés massivement et sont devenus incontrôlables. Est-ce dans une telle société que nous voulons-vivre ?

Mais le summum de la malhonnêteté intellectuelle est atteinte lorsqu’il prétend que « les abolitionnistes ont une vision étroite de « l’identité féminine,  toute femme étant pour eux (il dit elles, car il n’a pas compris que le mouvement abolitionniste est un mouvement mixte), conformément à ses organes génitaux, une mère « !

Cette confusion est typique de la technique manipulatrice de renversement rhétorique. L’auteur a bien compris que les femmes ont des organes génitaux, à la disposition des hommes, pour faire des enfants – GPA – ou pour assouvir de prétendues pulsions sexuelles irrépressibles masculines. Nous n’en sortons pas, « mères ou putains », mesdames,  choisissez ! Il se peut toutefois que notre universitaire néo-libéral, magnanime et si moderne, nous accorde de passer de l’une à l’autre !

En revanche, le mouvement abolitionniste est favorable à l’émancipation des femmes, il sait que les femmes se sont libérées en s’affranchissant de leur dépendance économique et en se réalisant autrement que dans la maternité automatique, le seul droit réservé aux femmes. Il sait aussi que le soi-disant «  plus vieux métier du monde » est surtout, le plus vieux privilège masculin, jalousement préservé par le système patriarcal et qui paradoxalement, trouve parfois des alliés dans le mouvement LGBT (GPA & prostitution).

Sa conclusion enfin, nous parle de liberté et d’éternité.

La prostitution serait une liberté ? L’auteur fait ici la promotion néo-libérale du choix individuel qui prime sur le choix collectif de société. Pour une personne qui choisit 1000 peuvent vivre en esclavage.  N’oublions pas que l’économie du sexe est la plus rentable après celle des armes et de la drogue !

Laissons de côté un instant la prostitution liée à la traite, aux mafias, aux réseaux,  aux proxénètes plus ou moins artisanaux… pour nous intéresser à la seule prostitution dite « choisie » : comment notre universitaire a-t-il pu passer à côté des études qui démontrent que la plupart des femmes prostituées ont vécu des violences sexuelles, incestes ou viols, dans l’enfance ? A moins qu’il ne le sache mais n’ait rien d’autre à leur proposer ? Lui rentabilise ses études, elles cherchent à survivre, mais lui, sait de quoi il parle !

L’arnaque intellectuelle consiste à prendre pour argent comptant les sornettes de quelques escortes de luxe qui travaillent occasionnellement et choisissent leur clientèle sur Internet, ils osent se prétendre porte-parole des femmes enfermées dans une prostitution forcée.

Comble de l’indécence, cette liberté, il la justifie par son impossible disparition. C’est tout de même vertigineux, ne trouvez-vous pas ?

Affirmer que la prostitution ne disparaîtra jamais c’est d’avance capituler sur la possibilité d’une société plus humaine, plus épanouissante et plus libre, libre des dangers, des pressions de toutes sortes, des chantages exercés sur des femmes au prétexte d’une libre sexualité.

C’est condamner une partie des femmes à devoir se plier à tout jamais aux exigences d’une sexualité masculine qui serait naturellement différente – essentialisme où es-tu ? – et puisqu’ils peuvent payer, pas de raison de s’en priver !

C’est renoncer à tout jamais à toute égalité femmes-hommes.

C’est accepter que sous cette forme, l’esclavage persiste mais ne concerne quasiment plus que des femmes.

C’est terriblement violent et réactionnaire. Vôtre coup de tampon,  M. Ketelbuters, on s’en passera fort bien.

Christine Le Doaré

PMA* Procréation médicalement assistée

GPA ** Gestation pour autrui

http://mobile.lemonde.fr/idees/article/2012/07/23/reconnaitre-la-prostitution-et-non-l-abolir_1736509_3232.html

14 Réponses to “Coup de tampon règlementariste !”


  1. 1 sandrine70 23/07/2012 à 22:56

    Reblogged this on A dire d'elles.

  2. 2 Jean-Jacques M’U (Masot-Urpi) 24/07/2012 à 00:05

    J’approuve l’analyse percutante de Cristine Le Doaré sur presque tous les arguments qu’elle oppose à l’article d’Alban Keltelbulters : « reconnaître la prostitution et non pas l’abolir »… Je ne me définis pas comme abolitioniste (bien que je souhaite l’abolition de tous les esclavages, dont celui qu’on appelle « travail », et que je souhaite l’abolition de toutes les oppressions, notamment celles qui fabriquent la précarité, la pauvreté, les trafics, les mafias, le proxénétisme…), en tout cas, je ne reconnais pas au gouvernement actuel de se prétendre « abolitioniste » quand il ne préconise que des solutions coercitives et prohébitives… Mais la question n’est pas là. Je ne peux suivre Keltelbulters dans ses arguments, fort bien démontés ici.
    Je me permettrais juste, ici, deux ou trois petites incidentes, qui décalent légèrement dans le détail avec mon approbation générale du discours de Christine Le Doaré.

    Son article commence en effet assez mal à mes yeux avec ce premier paragraphe qui soupçonne a priori les hommes de labeliser d’un « tampon féministe convenable », les mouvements de libérations des femmes. Je ne sais s’il s’agit de simple rhétorique chez elle, qui consisterait à discréditer le propos dénoncé, mais je ne peux en tout cas accepter une telle affirmation sans réagir au fait qu’il s’agit là d’une catégorie inventée pour l’occasion de toutes pièces par l’auteure de l’article, et que je demande à bien entendre qu’il n’y a pas qu’une seule et univoque propension masculine face à une seule et univoque propension féminine, et que les nuances et les contradictions existent aussi bien (et aussi mal) entre hommes et femmes, qu’entre les féministes eux-mêmes (je dis bien « eux-mêmes », car il y a des hommes sincèrement féministes, dont je crois être, et certaines femmes résolument opposées à la moindre évocation d’une pensée ou d’une action féministe). Je me sens donc féministe, et, pour autant, je ne saurais me situer de tel ou tel courant du féminisme, de telle ou telle école. Ce ne sont pas les étiquettes ni même les figures de proue d’un mouvement qui me déterminent, mais mon expérience intime, mon rapport avec les femmes, et ce que nos fréquentations nous permettent d’asseoir comme modes vivables d’égalités respectives et de libertés bien comprises, ensemble et séparément, sur le long terme, de parents à enfants, entre citoyens, à l’école, dans la vie privée et en public, etc.

    Heureusement, la suite de l’article entre dans le détail des définitions, des approximations et des illustrations. J’entends très favorablement que le champ de vision sur la famille et la parentalité soit élargi aux couples homosexuels, et je crois qu’il est dans le sens de l’évolution humaine de ne pas limiter l’analyse de la fécondité sous le seul angle de l’intérêt des couples hétérosexuels… dénoncés ici un peu sommairement au patriarcat. Mais passons !… L’essentiel de ce qui est dit dans cet article reste vrai. Ne chipotons pas davantage.
    Voili voilou voilà…
    Jean-Jacques M’µ

  3. 3 michelcarriere 24/07/2012 à 08:18

    Refuser le système prostitueur me semble un combat de même nature que le combat contre l’esclavage !
    Le système prostitueur, comme le système esclavagiste procède par la violence et la force pour réduire des êtres humains à l’état d’esclaves , d’objets aux mains d’exploiteur-se-s et contraire à la déclaration universelle des droits humains.
    Le défendre me paraît la négation même de tout humanisme !

  4. 4 Elsa 24/07/2012 à 11:06

    Donc, le premier article que tu décides de poster, après tant d’années à avoir pourri le milieu LGBT de ton autoritarisme réactionnaire, c’est sur les prostituées ? Mais, ma pauvre fille, tu fantasmes sur elles, ma parole !
    Ne trouves-tu pas qu’il y a des affaires féministes et LGBT (je veux dire… les vraies affaires, pas les discussions de comptoir façon mère La-Morale) sur lesquelles tu pourrais t’exprimer, toi qui as une si belle connaissance de la langue ?

  5. 5 Saskia van Rooy 24/07/2012 à 14:17

    La prostitution n’est pas le plus vieux métier du monde. Elle a fait son apparition après l’installation du mariage, aujourd’hui codifié dans le Droit Matrimonial. Le mariage et la prostitution sont très liés. Ce sont deux jumeaux, l’un n’existe pas sans l’autre. Si on veux abolir la prostitution il faut d’abord abolir le mariage.Hiérarchie de l’homme sur la femme prend sa source dans le Droit matrimonial. C’est là ou le travail de la femme change à travail inactif. C’est là ou la femme est mis en inégalité avec l’homme. Je parle bien d’un système. Pour ressentir les effets de ce Droit, inutile de se marier. Les effets sont partout, aussi sur le marché du travail. J’ai écrit une thèse sur ce sujet en français. Pas facile pour moi comme étrangère. Mon français est très rigide. On peut parfaitement réalisé une égalité financière entre l’homme et la femme. C’est techno-juridique très facile. Il faut basé notre coopérations avec l’homme (femme) sur le Droit des sociétés. Le résultat sera que les deux partenaires seront propriétaire de mêmes montants qui entrent dans la « Société ». Ils paieront individuellement le même taxes et recevront individuellement le même retraite. La divorce fait partie du droit de mariage. Elle ne fait pas partie du Droit des sociétés. On met fin à la coopération comme prévu dans les statuts. En absence des statuts l’argent suit celui ou celle que continue l’entreprise familiale. Je parle maintenant du ménage avec les enfants.

  6. 6 christineld75 24/07/2012 à 15:10

    je ne fantasme pas ni sur l’esclavage ni sur des post-traumatismes…
    Je me suis amplement exprimée sur les affaires LGBT, mouvement que pendant 14 ans j’ai servi sans compter…
    et désormais, je m’exprime sur ce qui me plait chère Hélène !
    Mais dis-moi donc, sur quel sujet fondamental LGBT souhaiterais-tu donc que je m’exprime ? (inédit s’entend !)
    Au plaisir…

  7. 7 tangakamanu 24/07/2012 à 16:33

    J’apprécie, partage et diffuse.
    Victor Khagan.

  8. 8 Claire P 24/07/2012 à 17:50

    Merci pour ce texte qui remet les choses à leur place !
    Ceci étant le texte du cher doctorant m’a quand bien fait rire quand il sous-entend que les féministes sont surtout des frustrées qui jalousent la liberté sexuelle des prostituées car celles-ci (et uniquement celles-ci) connaitraient la sexualité sans la procréation !

  9. 9 Saskia van Rooy 24/07/2012 à 21:51

    Cela vous parlez pas, que la prostitution soit la conséquence logique de mise en place de l’institut du mariage il y a 5000 ans. Enfermez la femme avec des lois, des voiles et des murs dans le mariage provoque la prostitution. D’un coté parce que le mariage prive les femmes à une libre accès à l’argent (donc la pauvreté)et l’autre coté parce que pour les hommes faire l’amour comme obligation dans le mariage n’est guère rigolo et faisait naitre le demande d’un amour plus caprice. .

  10. 10 Valérie 29/07/2012 à 19:58

    Merci, Christine.

  11. 11 beyourownwomon 23/10/2012 à 18:37

    Reblogged this on Women's liberation without borders. and commented:
    A lire et diffuser !


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